Liliane Maury Pasquier
Présidente de la Fondation pour le développement de l’accueil préscolaire (FDAP)
Liliane Maury Pasquier préside la Fondation pour le développement de l’accueil préscolaire (FDAP), une fondation de droit public qui a pour but de gérer le fonds pour l’accueil préscolaire et de soutenir la coordination et la planification de l’accueil préscolaire du canton.
Sylvain Thévoz : Liliane, quel regard portes-tu sur la situation de l’accueil préscolaire à Genève ?
Liliane Maury Pasquier : En 2019, 11’800 enfants d’âge préscolaire fréquentent une structure d’accueil collectif de la petite enfance sur le territoire cantonal : 8’300 enfants en crèche et 3’500 en jardin d’enfants. On dénombre près de 2’900 professionnel-le-s en charge des enfants dans ces différentes structures, dont 84% dans les crèches. Près de 700 enfants sont pris en charge par des accueillantes familiales de jour via une crèche familiale, une structure de coordination ou une association. Il y a eu une nette progression du nombre de places (+10% en 10 ans, ce qui est considérable).Toutefois, aujourd’hui, un parent qui a besoin de placer un enfant n’a pas automatiquement de solution et l’offre est encore insatisfaisante. Ce d’autant plus qu’après le vote en 2012 de la population genevoise du contre-projet à notre initiative « Pour une véritable politique d’accueil de la petite enfance », la volonté populaire s’est clairement exprimée pour qu’il y en ait davantage.
Liliane, peux-tu nous dire en quelques mots ce qu’est la Fondation pour le développement de l’accueil préscolaire (FDAP) ?
La FDAP comme son nom l’indique est une fondation de droit public au sens de la loi sur l’organisation des institutions de droit public, qui a pour buts de gérer le fonds pour l’accueil préscolaire et de soutenir la coordination et la planification de l’accueil préscolaire. Le conseil de fondation est composé de 9 membres, dont 2 représentant-e-s du canton, 5 représentant-e-s des communes et 2 représentant-e-s des associations professionnelles d’employeurs. Un des gros problèmes de la petite enfance à Genève, ce sont les tensions Canton-communes autour de qui paie quoi et comment, qui commande et pourquoi, tant au niveau des places de crèches que des questions concernant la formation, les stagiaires, la reconnaissance des périodes pré-école, les ASE, etc. La Fondation a le grand mérite de mettre tout le monde autour de la même table avec des objectifs clairs et communs.
Et cela fonctionne ?
Oui, le nombre de places augmente. Aujourd’hui, l’offre d’accueil collectif dans les crèches représente 36 places pour 100 enfants d’âge préscolaire à l’échelle du canton de Genève. L’objectif est d’atteindre 44 places pour 100 enfants d’ici la fin des années 2030. La Fondation joue pleinement son rôle.
Comment fonctionne-t-elle ?
La Fondation met en œuvre un mécanisme adopté dans le cadre de RFFA visant à compenser la baisse du taux maximum d’imposition des entreprises par une rétrocession de la masse salariale de tous les employeurs de Genève pour le financement de la Fondation. Les employeurs participent par leur contribution au financement de l’exploitation des structures d’accueil préscolaire à prestations élargies et des structures de coordination de l’accueil familial de jour subventionnées ou exploitées par les communes. La contribution est prélevée sur la masse salariale composée des salaires soumis à cotisation selon la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. Elle correspond à 0,07% de la masse salariale précitée. La participation du Canton à la Fondation est modeste (1,3 million inscrit au budget cantonal en 2021, avec une augmentation prévue pour 2022) alors que les employeurs y contribuent à hauteur d’environ 20 millions, sachant que les communes participent quant à elles au financement de l’accueil préscolaire directement pour les structures communales ou intercommunales, sans passer par la Fondation. L’argent recueilli par ce mécanisme est ensuite ventilé aux communes selon les taux définis. Si le taux de places de crèche par enfant d’une commune est plus élevé que la moyenne cantonale, la commune reçoit plus d’argent, alors que si son taux est plus bas, elle en reçoit moins. C’est donc un incitatif à créer davantage de places, sous forme de bonus-malus. Ce mécanisme est plutôt intelligent. La Fondation gère le fonds, donne un préavis au Canton sur le taux de places de crèches à atteindre et fait des recommandations pour les enfants à besoins spécifiques.
On continue donc de monter de 10% en 10 ans mais sans révolution fondamentale ?
Les parents ont été interrogés sur leurs besoins par le Service de recherche en édu-cation (SRED) et les besoins exprimés tournaient autour de 44 places d’accueil pour 100 enfants. Cela peut sembler étonnant. Mais, parmi les parents sondés, il y en a qui n’ont pas besoin de places de crèches, mais sans doute d’autres qui disent ne pas en avoir besoin parce qu’ils ne pourraient pas payer une place en crèche. Il y a donc un biais.
Le fait que certaines familles ne peuvent pas se payer une place de crèche est donc un enjeu important ?
Bien évidemment, et cela porte autant sur les tarifs minimaux que sur la progressivité du tarif payé par les parents. Selon les choix faits par les communes – tarifs minimaux bas ou élevés, progression plus ou moins rapide, tarifs maximaux – les familles défavorisées sont plus ou moins encouragées à solliciter une place en crèche. De plus, certaines communes tiennent compte du nombre d’enfants dans la famille et d’autres pas du tout. Beaucoup d’inégalités subsistent ainsi du fait de systèmes très différents selon les communes.
Y a-t-il un véritable enjeu d’égalité derrière ?
Oui. On parle beaucoup d’enfants à besoins spécifiques et c’est tant mieux. On doit trouver le moyen de soutenir l’intégration de ces enfants, en aidant les crèches à mieux les accueillir, avec des mesures de soutien adéquates. Mais quand on parle d’accessibilité, on ne mentionne pas assez l’accès de tous les enfants aux structures d’accueil préscolaire. Comme si la problématique sociale, financière n’existait pas et n’était pas conséquente.
Avoir une place de crèche gratuitement devrait être un droit, comme l’école. Aujourd’hui, comme il n’y a pas assez de places, il y a toute une conditionnalité liée notamment à l’emploi, au domicile. Pas de 100% en crèche si on ne travaille pas à 100%. Ou plus de place en crèche si on doit déménager ! Il y a certes quelques places pour les chômeurs/chômeuses, mais le risque de la spirale « pas d’emploi = pas de place de crèche = encore moins de chance de trouver un emploi » est bien réel et inacceptable !
Est-il important que tout le monde converge vers un objectif commun, même minimal ? Oui, c’est un premier pas. La Fondation fait une recommandation, puis le Conseil d’État tranche. L’objectif de 44% est partagé et soutenu par le Conseil d’État. Ce n’est pas rien. Mais aujourd’hui, il y a des différences très nettes entre les communes. Certaines communes n’offrent aucune place alors que d’autres dépassent largement le taux d’accueil recommandé.
Quels sont les écueils empêchant d’aller plus loin que ces 44 places pour 100 enfants ?
Au-delà des finances des communes, qui ont des contraintes bien réelles, c’est la question du personnel qui coince. Pour atteindre voire dépasser ce taux, il faudra former davantage. On bloque sur deux choses : les places de formation et l’attractivité de ces métiers, afin que les jeunes s’y forment davantage. Ce sont des métiers exigeants, avec une progression salariale et un plan de carrière peu attractifs. Un certain nombre de gens quittent donc ces métiers. Cela n’est pas dans le mandat de la Fondation, mais nous rappelons l’importance qu’il y a à mettre l’accent sur la formation.
La municipalisation te semble-t-elle un bon moyen pour remédier à ces contraintes ?
Oui. La municipalisation permettra de revaloriser et soutenir ce métier. La qualité de l’accueil est fondamentale, pour le développement de l’enfant et pour la lutte contre les inégalités. L’importance pour les enfants d’être pris en charge d’une manière professionnelle est fondamentale. Celles et ceux qui prétendent qu’il n’y a pas besoin de diplôme font totalement fausse route. Le secteur de la petite enfance doit être vu comme un investissement pour l’avenir.
N’est-ce pas au Canton de reprendre la main ?
Il pourrait y avoir la tentation de dire aux communes “stop, le Canton reprend la main”. Mais il est peu probable que cela soit accepté politiquement. La Suisse n’est pas un pays progressiste en matière de société mais, en même temps, elle avance. Ceci dit, les communes devraient au moins atteindre un seuil minimal de places de crèche. Soit par le développement de mesures incitatives comme le mécanisme de bonus-malus soit par l’introduction d’une obligation. Il se-rait bon d’avoir un levier plus fort à ce sujet, à défaut de cantonaliser. Le Canton devrait aussi avoir une contribution minimum. Est-ce que cela doit être en francs ou en pourcentage du budget global, à voir. Toujours est-il que la solution viendra d’une volonté conjointe Canton-communes.
La Fondation soutient-elle les crèches privées ?
Non, la Fondation ne soutient pas les crèches privées, ce n’est pas prévu par la loi. La Fondation ne s’occupe ni de formation ni de coordination. Sa mission porte sur la gestion du fonds pour la coordination, afin qu’il y ait davantage de places de crèches.
Et la droite rabâche toujours que faire un enfant est une responsabilité individuelle, et s’en remet à la fortune de chacun-e pour les gérer…
On connaît bien cette rengaine. Elle ne tient pas du tout compte de l’apport des familles pour la société dans son ensemble. Si l’on veut que des jeunes arrivent sur le marché du travail, il faut 1) des enfants, et 2) que, dès le début, ces enfants reçoivent une bonne éducation. Sans places de crèche en suffisance, on renforce les inégalités et on empêche la possibilité d’avoir des enfants…ou alors les gens partent ailleurs, et c’est une perte pour Genève. Chiffrer tout ce que coûte un non-accueil serait important. On distingue bien en termes d’interactions et d’apprentissages les enfants qui ont bénéficié d’un accueil préscolaire des autres.
Que penses-tu de la proposition d’abaisser l’âge d’entrée à l’école à 3 ans ?
C’est une proposition intéressante mais, à l’école, il y a presque moins de moyens en termes d’encadrement. Donc il faut faire attention à la mise en œuvre. Dans les crèches, il y a un encadrement variable suivant l’âge des enfants mais, disons, en moyenne un adulte pour 4-6 enfants. À l’école, c’est un-e maître-sse pour une vingtaine d’élèves. On voit donc que les taux d’encadrement ne sont pas les mêmes. Si cela peut permettre d’offrir une place d’accueil à chaque enfant, il faut aussi étudier cette piste. Le vieillissement de la population nous questionne et demande que l’on offre de bonnes conditions pour intégrer les nouvelles générations. À l’école et au préscolaire, c’est le même mouvement.