Ornella Enhas
Vice-Maire de la commune de Versoix
Dans une petite commune au budget fragile, l’entité en charge de la petite enfance ne pratique pas la transparence nécessaire à l’efficience de ce qui devrait être une politique publique.
François Mireval : La commune de Versoix est une des « petites » communes du canton. Quelles sont les données chiffrées importantes pour mieux la comprendre ?
Ornella Enhas : Avec 13’400 habitants, il y a quelques années seulement que la commune est devenue une ville. L’état d’esprit général est resté encore très villageois, ce qui a des bons côtés comme la facilité des contacts avec les gens, et des moins bons aussi comme nous le verrons. Notre budget tourne autour de 40 millions et l’administration emploie une centaine de personnes.
Qu’en est-il de la petite enfance à Versoix ?
Depuis 2010, c’est une fondation communale de droit public qui s’en occupe. Elle regroupe trois sites qui offrent 164 places ainsi que deux garderies avec 32 places. Il faudrait y ajouter les accueillant-es familiales de jour (AFJ) autrefois appelées mamans de jour et maintenant regroupées en association. Malgré cette offre, il y a une liste d’attente de 150 personnes : la demande reste forte !
Ce fonctionnement est-il satisfaisant ?
Pas totalement, et pour différentes raisons. D’abord, il faut savoir que la subvention à la petite enfance est très importante, car elle représente 10 à 12% de notre budget, soit 4.4 millions sur un coût total de 6.8 millions. Les salaires de cette catégorie de personnel (6.3 millions pour près de 80 postes, le solde étant à la charge des parents) sont d’ailleurs alignés sur l’avantageuse Convention collective de travail (CCT) en vigueur en Ville de Genève. C’est donc un système de rémunération parallèle à celui de la municipalité, tout en étant assez différent. C’est parfois difficile à expliquer à notre propre personnel…
Ensuite, la commune n’est impliquée ni dans les décisions stratégiques de la fondation, ni même dans l’opérationnel, car elle n’est pas représentée dans le bureau. Certes, elle participe au conseil de la fondation, mais avec deux à trois réunions annuelles seulement, ce conseil ne peut qu’entériner les décisions du bureau. Historiquement, c’est parce que les édiles de l’époque « villageoise » ne voulaient pas passer pour des potentats locaux omnipotents que ce système a été mis en place. Aujourd’hui, il a atteint ses limites.
Malgré ces difficultés avec la Fondation, sur lesquelles nous reviendrons, les tâches ne sont-elles pas au moins clairement réparties ?
Non, ce n’est en réalité pas le cas si on se donne une vue d’ensemble. La fondation gère, certes, les équipes pédagogiques et administratives ainsi que celles chargées des repas. Mais le nettoyage des bâtiments, dont un appartient à la fondation et l’autre à la municipalité, comme leur entretien, sans oublier celui des importants espaces verts adjacents, sont à la charge de la commune ! Pour avoir une vision plus claire de ces coûts réels mais cachés, j’ai demandé à mes services de les détailler explicitement dans leurs lignes comptables. Le résultat pourrait surprendre !
Et comme le budget d’une petite commune est fluctuant…
Oui. Nos rentrées fiscales sont en baisse, car avec trop peu d’entreprises sur notre territoire, elles dépendent surtout d’un petit nombre de riches contribuables. Certains départs récents semblent malheureusement liés à notre proximité avec certaines communes vaudoises… Heureusement que la péréquation financière intercommunale nous est plutôt favorable, car beaucoup de dépenses sont incompressibles car « externes » comme la petite enfance ou le Groupement intercommunal pour l’animation parascolaire (GIAP). Par ailleurs, une entité cantonale s’est récemment constituée, la Fondation pour le développement de l’accueil préscolaire (FDAP). Nous en attendons l’octroi de nouvelles subventions aux communes concernées, dont la nôtre.
D’un autre côté, il y un service spécifique-ment genevois, le Service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour (SASAJ) qui édicte des normes concernant la petite enfance. Mais elles sont souvent trop contraignantes face à la réalité des lieux ! Quand une crèche occupe un vieux bâti-ment, faut-il la fermer si, malgré le gros travail d’adaptation des lieux, tout n’est pas conforme à 100% ?
Revenons à la pierre d’achoppement. Petite commune, petite fondation : pourquoi toutes ces difficultés ?
C’est que le développement de cette activité a largement atteint une taille critique. Il est temps de clarifier les prérogatives des différentes parties, en particulier dans le domaine budgétaire. La commune n’a qu’un accès limité aux informations liées au fonctionnement de la fondation, ainsi qu’aux éléments permettant d’établir les budgets alors que nous en sommes le subventionneur principal ! Au vu des enjeux liés à la petite enfance, nous devons trouver des pistes afin d’améliorer les questions ayant trait au pilotage et à la gouvernance de cette poli-tique publique.
Une coordination avec les services communaux est plus que jamais nécessaire. On peut continuer à envisager une petite enfance travaillant de manière autonome, mais à l’instar du social, de la culture, de l’urbanisme, elle doit être intégrée dans les politiques communales. Il est temps !